Textes

Petõcz András

Rats

Il ne s’agit pas de savoir si les rats vont débarquer ou non. De quel côté ils vont débarquer.

Ou bien s’ils vont remonter par les canalisations. S’ils vont ressortir brusquement par les W.-C. Il ne s’agit pas de cela.

Je n’ai jamais écouté les ragots. Est-ce que les rats vont arriver? Qu’ils viennent donc. On verra bien qui sera le plus fort. On verra bien qui résistera le mieux, eux ou moi. Qui aura le plus de souffle. De force, d’endurance.

En fait, de rat, j’en ai déja vu un. C’était sur la place principale d’une petite ville, il était minuit. Oui, c’est ça, a peu pres minuit. Il est sorti par la porte d’un immeuble, il a reniflé un peu, a remué son petit museau pointu, puis a continué sa route. Il a continué sur le trottoir en se collant completement contre le mur. Les rats, c’est comme ça : ça avance en se terrant contre les murs. C’est a ça qu’on les reconnaît, les rats.

Il était gris, avec une tres longue queue; sur son corps gris il y avait des taches blanches, ovales. Il n’était pas beau, ce rat-la… Bon d’accord, un rat, est-ce que ça peut etre beau?

Je n’en sais rien.

Il ne s’agit pas de savoir si j’ai peur d’un rat. Simplement, je ne me suis jamais intéressé a la question. Aux ragots. Je ne pensais pas que j’aurais un jour des problemes a cause d’eux. C’est de ça qu’il s’agit. Je n’imaginais pas, tout simplement, qu’un jour je serais confronté a un probleme de rats.

Je me suis dit : laisse tomber. Je me suis contenté de rire de tout ça. Et puis bien sur j’ai continué a faire ce que j’avais a faire. Je pensais que c’était la solution la plus simple. Le prendre, éventuellement, et l’enfermer dans la poubelle? Je n’ai jamais pensé a ça. Bon, je mens, parce que j’y ai bien pensé, mais jamais vraiment sérieusement. Et apres j’ai continué ce que j’avais a faire. Qu’on ne cherche pas a me faire peur inutilement! Qu’on ne cherche pas a me ficher la frousse! Ça, je n’aime pas du tout. On cherche a t’épouvanter, a te faire sursauter betement pour que tu fasses comme ci, ou comme ça, ce serait mieux si tu faisais comme ça, etc. Non, non et non! Qu’on me laisse tranquille! Qu’ils me laissent en dehors de leurs histoires. Moi, ceux qui disent ça… Enfin, bref, il ne faut pas me prendre pour un imbécile. Vous ne me connaissez pas. Les rats, pour tout dire, je n’en ai rien a foutre. Voila ce que je pense.

Je me suis débarrassé des restes, dans les W.-C. De bouts de viande, des os, des tendons, ce qui venait. Dans les chiottes, l’eau a tout emporté, comme une lettre a la poste. Ça n’a fait aucun probleme, absolument aucun. J’ai jeté les restes, j’ai tiré la chasse, et l’eau a giclé; jeté, tiré, ça a giclé. Un jeu amusant. Un jeu fascinant.

Et ensuite les rats sont apparus. Un seul d’abord : prudemment il a pointé la tete dans la cuvette, il a flairé un peu avec son museau, exactement comme l’autre, la, celui que j’avais vu sur la place de la petite ville. Il a flairé juste un brin, ensuite il s’est hissé en dehors, completement, il est carrément remonté dans la cuvette. Moi je me contentais de regarder.

Je ne voulais pas le croire.

Bien sur j’ai rapidement tiré la chasse, j’ai tiré, ça a giclé, c’était bon d’entendre ça, mais le rat, le salaud, il n’avait pas l’air de s’en soucier beaucoup. Il a un peu glissé, mais a réussi a s’extirper une nouvelle fois. Déja le suivant arrivait derriere. Il l’a quasiment aidé. J’ai brusquement rabaissé le couvercle du siege sur eux. Ils peuvent bien venir. Ils repartiront. De toutes façons ils ne pourront pas sortir. S’il le faut, j’entasserai sur eux tout ce qui vient. Ça non, dans l’appartement, pas question. Je ne vais quand meme pas les laisser entrer chez moi. Qu’est-ce qu’ils imaginent! Qu’ils vont remonter par les canalisations et pénétrer ensuite dans la salle de bain? Ils veulent peut-etre aussi que je leur donne mon lit? La vache! Qu’ils osent, tiens. Ils trouveront a qui parler. Et quoi encore!

J’ai senti que ça remuait la-dedans, dans la cuvette. Ça remue, ça s’agite. Les salauds. Ils sont de plus en plus nombreux, c’est clair. J’ai bien senti qu’ils étaient de plus en plus nombreux. Ils essaient tant qu’ils peuvent d’ouvrir le couvercle. Ils essayent de passer en force. Il a fallu que je leur mette dessus la machine a laver. Évidemment. La machine a laver, c’est assez lourd, c’est sur. C’était ce que j’ai pensé sur le moment. J’ai hissé la machine a laver sur les W.-C. Ne pensez pas que ce soit si simple. Ils ont cherché a sortir, c’était monstrueux. Mais moi, je ne suis pas si facile a entourlouper. Moi, on ne me la fait pas. Qu’est-ce qu’ils s’imaginent?

Je suis sorti de la salle de bain, évidemment. J’ai fermé la porte a double tour et j’ai poussé la grande armoire contre la porte de la salle de bain. Il vaut mieux etre prudent, c’est ce que j’ai pensé. Peut-etre qu’il est déja trop tard.

Je ne sors plus de l’appartement. C’est mon appartement, je ne veux pas l’abandonner. Ça non. Je n’aurais aucune raison de faire ça.

La détonation qui provient de la salle de bain, ça veut peut-etre dire qu’ils ont fait éclater la cuvette en faience de mes W.-C. Qu’ils sont dans la salle de bain. Beaucoup. Il doit y en avoir beaucoup. Une infinité de rats, avec leur museau qui n’arrete pas de renifler, gris, avec des taches blanches. Des rats.

Maintenant, ils sont en train de ronger l’armoire. Je reste debout dans ma chambre, j’entends que ça pullule. Des milliers et des milliers de rats dans mon appartement. Ils rongent tout. J’attends. J’attends qu’ils viennent jusqu’ici. Ils vont y arriver dans peu de temps. Ils viennent. Les rats. Mes rats.

J’attends. Qu’est-ce que je pourrais faire d’autre?

(Traduction par Thierry Loisel)

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